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Biathlon année 90. Interview Patrice Bailly Salins. Épisode 4
4ème volet de notre saga « les pionniers du biathlon » Patrice Bailly-Salins le Jurassien de Morez, fut le premier biathlète français vainqueur du classement général (1994) et 1er champion du monde masculin (1995). Compétiteur-né Patrice a prouvé au monde entier, après la médaille d’or du relais féminin en 1992, qu’un français pouvait devenir un grand champion de biathlon dans les courses individuelles. Ces nombreux succès ont fait écho aux générations suivantes qui ont bonifiées cet héritage sportif laissé par ce champion hors normes et au parcours atypique.
Patrice, peux-tu nous parler de ton parcours de biathlète ?
J’ai un parcours très atypique. Je n’ai débuté le biathlon qu’à 19 ans. Au départ, je n’étais pas du tout destiné à faire du biathlon. Je faisais du ski alpin, et j’avais de bons résultats. Mes copains de l’époque étaient les frères Picard (Franck et John), il y avait aussi Lucho (Luc Alphand)… Ils étaient meilleurs que moi, bien que j’aie pu avoir de bons résultats au niveau régional. Puis à 19 ans, je suis allé faire mon service militaire à Chamonix. C’est grâce à l’armée que j’ai découvert le biathlon…En fait, je suis un pur produit de l’armée. Durant ma carrière de sportif de haut niveau, j’étais sous contrat avec l’armée. Moi, ce qui me plaisait, c’était le triathlon militaire…
Peux-tu expliquer ce qu’est le triathlon militaire* ?
C’est trois disciplines, à savoir du ski alpin et du biathlon, le combiné donne un classement général …Et donc, en 1988, alors que je travaillais pour l’armée, David Moretti me contacte et me propose d’intégrer l’équipe de France B de biathlon. Mais mon rêve était d’aller en équipe nationale de ski alpin…J’ai donc refusé la proposition de David. Je pense avoir été le premier athlète à dire non pour intégrer l’équipe de France. Mais David était quelqu’un de tenace. Il a contacté l’armée, il a contacté mon entraineur et un accord a été trouvé pour que je puisse intégrer l’équipe B de biathlon mais à partir de novembre et jusqu’à la fin de la saison d’hiver…En décembre 1989, je cours ma première épreuve en coupe du monde de biathlon aux Saisies. J’avais été sélectionné, avec 7 membres de l’équipe A. J’étais le premier de l’équipe B et j’avais donc mon ticket pour participer. C’était ma première expérience en coupe du monde et j’ai pris une grosse fessée par les allemands notamment…J’avais l’habitude de courir en Coupe des Alpes et là, le niveau n’était plus du tout le même
En coupe des Alpes ?
Oui, c’était l’équivalent de l’IBU Cup d’aujourd’hui. Nous courrions uniquement entre nations de l’arc Alpin, à savoir les Allemands, les Autrichiens, les Italiens…Les nations scandinaves n’étaient pas présentes, ni même les Russes. C’était quand même un niveau en dessous de l’IBU Cup d’aujourd’hui. Donc, tu imagines quand tu arrives sur le circuit de la coupe du monde…avec tous les cadors de la discipline.
En mars 1992, je gagne ma première épreuve en coupe du monde. C’était un sprint à Fagernes, en Norvège. En fait, les épreuves étaient prévues sur le site d’Holmenkollen à Oslo, mais la météo était très mauvaise…et au bout de trois ou quatre jours de mauvais temps, les épreuves ont été déplacées à Fagernes. Thierry Dusserre avait fait 4ème de l’individuelle la veille et j’avais très envie de réussir après sa belle performance. »
Tu deviens donc le premier français à gagner une épreuve de biathlon en coupe du monde ?
Eh bien non. Le premier français à avoir gagné une étape de la coupe du monde, c’est Hervé Flandin, à Canmore au Canada, en mars 1991. Ce jour-là, Hervé gagne juste devant moi. On fait 1 et 2. C’est le premier doublé de l’histoire du biathlon français !
Le biathlon est né dans les années 1960. Très populaire dans les pays scandinaves et en Russie, ce n’est qu’en 1992 que l’on a commencé à en parler France, avec la victoire d’Anne Briand, Véronique Claudel, Corinne Niogret au relais des Jeux Olympiques d’Albertville. Tu étais déjà biathlète à l’époque. Comment fait-on pour se mobiliser pour un sport aussi exigeant comme le biathlon sans la reconnaissance du public français ?
C’est la passion du biathlon tout simplement. Comme je te le disais, avant de goûter au biathlon, je rêvais d’une carrière en alpin. Pourtant, à partir de 1990, j’’ai posé les skis alpins au placard. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si le biathlon était médiatique…Je l’ai pratiqué parce que j’avais la passion de cette discipline, tout simplement. Eurosport diffusait à l’époque les épreuves, et le biathlon était populaire en Allemagne, en Russie et évidemment dans les pays scandinaves. Mais je pense que ce sont les résultats qui font la popularité. Le biathlon est devenu populaire et regardé en France car les résultats sont bons depuis déjà plusieurs années, et notamment ces dernières années avec Martin Fourcade. Je pense que la France n’est pas un pays de sportifs…Alors je crains que, sans résultats, le biathlon ne retombe aux oubliettes.
Tu avais selon tes anciens co-équipiers des qualités hors norme sur les skis. Comment te situais-tu dans les courses de fond spécial ?
Je n’ai participé qu’à très peu de course en fond spécial. J’ai le souvenir d’un 50km en coupe de France, où j’arrive 5ème, derrière les frères Balland (Hervé et Guy), et Dominique Locatelli je crois…
Tu gagnes ta première course en coupe du monde en 1992 à Fagernes. Pensais-tu à ce moment-là gagner le gros globe deux ans plus tard ?
Non, pas du tout. Gagner une fois, c’est bien. Mais gagner le classement général de la coupe du monde, c’est une autre affaire. En 1992, j’ai été surpris de gagner. En 1993, je deviens plus régulier et je gagne le classement général de la coupe du monde en 1994. J’ai eu une progression constante. Et pour gagner le classement général cela demande une régularité de tous les instants. Tu ne peux pas avoir un jour sans. C’est très dur.
Ce titre en 1994 et l’ensemble de ton palmarès te permettent-il de bien vivre aujourd’hui ?
Oh non. Dès que j’ai pris ma retraite d’athlète de haut niveau, j’ai repris la station de ski de mon papa. (Les gentianes, à Morbier). J’ai depuis revendu la station de ski et aujourd’hui, j’ai des gîtes dans le Jura et je m’occupe de mes gîtes. J’ai gagné ma vie pendant 15 ans grâce à l’Armée, mais ce n’est pas mon titre de vainqueur du classement général de la Coupe du Monde qui m’a permis de me tourner les pouces ensuite. Après ma carrière de biathlète, je ne voulais pas m’orienter vers le biathlon. J’ai repris du service malgré tout en 2008, car Christian Dumont m’a proposé à l’époque de prendre la responsabilité du pôle France à Prémanon, été comme hiver. J’ai occupé cette fonction jusqu’en 2013.
A l’époque, la revue du ski en France s’appelait « Ski Français ». J’ai le souvenir de te voir, dans un long article, avec ta combinaison fluo du comité du Jura, jaune et rose je crois… Et il me semblait que tu skiais sur des skis Rossignol jaune… or dernièrement, en préparant cette interview, j’ai vu des photos de toi avec des skis Atomic… Quel était ton équipementier ?
Ah tu as une bonne mémoire (rires). En effet, jusqu’en 1995, je skiais sur des skis Rossignol, et avec des chaussures Salomon. Salomon me fabriquait deux paires de chaussures par hiver, à ma taille. J’ai le pied très fin et j’avais la chance d’avoir des chaussures sur mesure. Mais à partir de 1996, Rossignol voulait que je sois à 100% équipé par eux, à savoir skis et chaussures. C’est d’ailleurs une règle qui s’est développée depuis. Les biathlètes et les fondeurs sont globalement équipés par le même équipementier pour les skis et les chaussures. Comme j’étais en bon terme avec les gens de chez Salomon, j’ai décidé de rester avec eux pour les chaussures et je suis donc passé chez Atomic en skis. Mais j’ai gardé de bons liens aussi avec les gens de chez Rossignol.
Parmi les biathlètes de ta génération que j’ai interrogés, tous me disent que tu étais un compétiteur incroyable, avec une rage de vaincre, capable de se mettre « sur le toit » à chaque course… Es-tu de cet avis ? Quels sont tes secrets pour parvenir à cela ?
Oui, c’est vrai. J’avais cette capacité à me faire mal, parfois même au-delà du raisonnable. Souvent, lors des chronos en septembre/octobre, j’étais à la traîne par rapport aux copains. Mais dès décembre, et dès que j’avais un dossard sur le dos, je n’étais plus le même homme. Quentin Fillon-Maillet me donne la même impression.
C’est un truc de jurassien si je comprends bien ? (Rires). Quel est ton meilleur souvenir en biathlon ?
Ma victoire du classement général de la coupe du monde en 1994. Quand tu penses que Raphael Poirée en a 4 et que Martin en a 7… !!! C’est tellement dur. Je crois que le jour ou j’ai gagné le classement général en 1994, j’ai dit aux copains le soir même « plus jamais ça » tellement cela a été dur
Et le pire ?
On ne retient pas les mauvais souvenirs… Mais je pense que mon pire souvenir est cette chute, devant l’hôtel à Antholz en 1996. Il y avait de la glace devant l’hôtel, je suis tombé, et le verdict tombe : entorse du genou !! J’étais vraiment déçu… Trois semaines après, il y avait les championnats du monde à Ruhpolding, un site que j’adore et j’espérais beaucoup de bons résultats… Malheureusement, je ne me suis jamais réellement remis de cette entorse.
As-tu une anecdote rigolote à raconter durant ta carrière ?
Lorsque j’ai gagné ma première victoire en coupe du monde à Fagernes, les filles m’attendaient à l’hôtel. Elles avaient couru le matin, et quand je suis arrivé à l’hôtel, elles m’ont attrapé et je suis passé tout habillé dans la piscine de l’hôtel. Moi qui n’aime pas l’eau, j’ai été servi (rires).
Tu étais très proche de ton coach David Moretti. Que lui dois tu ?
Tout. Je lui dois tout. C’est lui qui a vu en moi mon potentiel, qui m’a contacté en 1988, qui a insisté. Il était droit, loyal. Moi aussi, j’ai le sentiment d’être quelqu’un de droit. On s’est bien trouvé. David, c’était mon gourou. Quand j’ai gagné le classement général de la coupe du monde en 1994, il était déjà très malade et pourtant, il est venu, à Canmore au Canada pour la dernière épreuve. C’était un sprint. Pour gagner le classement général, il fallait que je sois devant Sven Fischer….. Ce jour-là, je fais 3ème et Sven arrive 4ème, à 9 secondes. Tu vois, ça tient à peu de choses… Et à l’arrivée, David me dit « Bailly, tu l’as fait ». Il est mort quelques mois plus tard et je lui dois beaucoup.
Cet interview a lieu quelques jours à peine après l’annonce de Martin Fourcade, à savoir la fin de sa carrière de biathlète. Lorsque l’on parle de Martin, les superlatifs manquent. Il semble tout simplement incroyable, le genre de mec né sous une étoile divine. Quel conseil lui donnerais-tu pour sa future vie de retraité ? (Qui sait, peut-être qu’il lira un jour cette interview).
Je me garderai bien de lui donner des conseils…Il sait tout faire, nul doute qu’il saura se reconvertir.
Martin Fourcade annonce la fin de sa carrière alors qu’il est encore au sommet de son art. Que penses-tu de cette décision ? La vie de biathlète est-elle difficile ? La vie de famille est-elle compatible avec la vie de biathlète en équipe de France A ?
Oui, la vie de biathlète est dure. Durant l’hiver, tu n’es jamais à la maison, ou tu passes en coup de vent. Tu vois, en 1998, avant de partir pour les Jeux Olympiques de Nagano, mon fils de 4 ans me dit « J’espère que c’est la dernière fois que tu t’en vas » … Je pense que c’est pareil pour Martin. Ses deux filles doivent lui manquer. En plus, il arrête en pleine gloire, il ne fait pas les choses à moitié (rires).
Lui vois-tu un successeur ?
Peut-on succéder à Martin ? Il a mis la barre tellement haute…Mais les records sont faits pour être battus. Les autres membres de l’équipe de France sont très forts…Quand Raphaël a quitté le biathlon, je me suis dit qu’il serait difficile de lui trouver un successeur et tu vois, on n’a pas été déçus !!
L’équipe de France dispose de techniciens, d’un camion de fartage que les autres nations nous envient… Chaque biathlète a une housse composée d’une trentaine de paires de skis… Était-ce déjà le cas à l’époque ? Ou les choses étaient-elles plus artisanales ?
On n’avait peut-être pas 30 paires de skis dans la housse mais on était bien servis quand même… On devait en avoir une quinzaine… et nous avions déjà des techniciens, une cellule de fartage… On avait déjà du super matériel. Il y a eu sans doute une bonne évolution sur le fartage mais on n’était vraiment pas à plaindre.
Qui étaient les biathlètes que tu admirais lorsque tu étais jeune compétiteur ?
Forcément, j’admirais les meilleurs biathlètes, souvent des Allemands, des Russes… Evidemment les Norvégiens. Mais une fois dans le haut niveau, je me suis aperçu que nous ne mangions pas dans la même gamelle. J’ai de l’admiration pour les gens qui sont clean. Et avant la chute du bloc de l’Est, le dopage était très pratiqué dans le sport de haut niveau et surtout par les nations de l’Est. Et le biathlon ne dérogeait pas à la règle… Ce n’est pas un hasard si nous, on a commencé à faire des résultats après les années 1990. Les contrôles devenaient plus stricts… c’était les débuts de l’EPO… Et tu vois, cet hiver, les podiums sont principalement occupés par des Norvégiens et des Français. Mais je ne me réjouis pas de l’absence de résultats chez les Allemands. N’oublie pas que le biathlon est très populaire en Allemagne et les principaux sponsors de l’IBU sont des sponsors allemands… Si demain, les équipes allemandes ne font plus de résultats, les sponsors risquent de délaisser le biathlon…
Dans son livre, Martin Fourcade rend hommage à toutes les personnes qui ont inspiré sa carrière et notamment ses entraineurs… (Thierry Dusserre, Denis Boissière… Siegfried Mazet, Stéphane Bouthiaux…). Et toi ? Quelles sont les personnes et notamment les entraineurs qui ont animé ta carrière ?
Alors évidemment, il y a David Moretti. Mais mon premier entraineur était André Jourjon. C’était un militaire qui est arrivé 8ème au JO de Lake Placid en 1980. A l’époque, les courses se faisaient en classic. Il y a eu aussi Patrick Ancet.
*à l’image du concept combiné nordique ou de l’épreuve de poursuite en biathlon, le triathlon militaire se composait de 2 manches de géant, les écarts de temps du classement du géant, par un savant calcul de conversion, donnait une liste de départ pour la poursuite en biathlon du lendemain (sytème Gundersen). Le premier biathlète qui franchissait la ligne était déclaré vainqueur du triathlon
Interview menée par Guillaume TROLONG-BAILLY
Avec l’aimable supervision de Nicole Ragache et Claude Dorange