Interview biathlon Raphaël Poirée

Altitude Biathlon : Bonjour Raphaël Poirée, que devenez-vous ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre vie actuelle, votre quotidien ?
Raphaël Poirée : Alors mon quotidien se résume à ma  famille et mon travail. Mon travail aujourd’hui est assez nouveau, je viens de changer de fonction dans les travaux public. Je bosse pour une boîte d’intérim toujours dans le bâtiment où je gère environ cinquante travailleurs étrangers et m’assure que tout fonctionne bien dans leur travail du point de vue sécurité, du relationnel avec leur collègues et autres besoins. Le relationnel reste un challenge pour moi qui ai toujours été assez réservé,  je suis aujourd’hui constamment au contact avec l’humain. Sinon j’ai mes trois filles (avec Liv Grete-Poirée) et ma nouvelle compagne a trois filles elle-aussi. Donc je suis à 50% avec mes filles et 50% avec ma nouvelle femme.

Vous avez fait découvrir le biathlon à toute une génération de français; vous avez été leur idole pendant de longues années et vous êtes encore très populaire en France. En êtes-vous conscient ? Quel regard portez-vous sur votre carrière de biathlète ?
On va dire que je n’y pense pas vraiment en dehors de la saison de biathlon. Après, c’est sûr que l’hiver comme on parle plus de biathlon je me rends compte de l’impact que ça a eu auprès des gens. Ce fut le cas notamment l’année dernière quand j’étais sur la Coupe du Monde au Grand Bornand. En fait, c’était la même génération qui m’avait suivi dans mon parcours et qui était là présente au Grand Bo et c’est vrai que cela fait très plaisir, c’était très fort comme émotion. Martin me l’a aussi fait remarquer.
Ce n’est pas moi qui ai commencé à faire connaître le biathlon mais j’y ai participé c’est certain, tout comme Martin le fait aujourd’hui.

Après votre retraite, en 2007, vous avez un peu entraîné en Norvège (nb : il a entraîné l’Équipe B puis les juniors dames) puis vous êtes parti entraîner pendant un an l’équipe biélorusse masculine de biathlon. Pourquoi ces choix ? Pourquoi ne pas avoir été tenté par la reprise d’un groupe en France ?
En fait, j’avais signalé à l’équipe de France que je voulais aider mais ils n’avaient pas besoin de moi à ce moment-là. C’est alors que la Norvège m’a contacté, moi j’attendais toujours du côté français mais je n’ai jamais eu de réponse.
Pourquoi ça ne s’est pas fait ? Je pense que cela tient au fait que j’ai réalisé ma carrière un peu à part du groupe. À mon époque l’équipe de France n’avait pas encore la possibilité de s’entraîner le mieux possible, pour être au top niveau. Je suis donc allé en Norvège et ailleurs pour chercher ce que je voulais. Ce sont des choix que j’ai assumé et qui ont été payants. Du coup, après ma carrière,  les Norvégiens sont venus me chercher directement et j’ai accepté.

Serait-ce une piste envisageable à l’heure actuelle d’entraîner en France ?
Non maintenant c’est fini pour moi, j’ai ma vie ici en Norvège et je ne repartirai pas en France pour entraîner et laisser ma famille. C’est trop tard.

Vous avez entraîné la jeune biathlète Norvégienne Thekla Brun-Lie, est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Disons que Thekla parle français et on s’entend bien. Je l’ai entraîné quand elle était dans le groupe junior, elle est d’ailleurs devenue championne du monde. Elle avait à chaque fois un nouvel entraîneur et ça ne fonctionnait jamais bien dans son encadrement. Alors elle me rappelait pour remettre les bases à zéro, rétablir sa forme physique et son niveau de tir. Je n’étais pas son coach à 100% pour elle mais on va dire que je l’ai aidée. En fait, quand ce sont des athlètes qui demandent, qui viennent te voir chez toi, c’est toujours plus facile. J’ai eu donc plusieurs athlètes, quelques allemands, quelques norvégiens, Myriam Gossner par exemple. Ce sont eux qui m’ont appelé et je les ai aidé, ça s’est fait comme ça.

La médaille d’or olympique est la seule ligne qui manque à votre bien riche palmarès. Avez-vous un regret  ?Alors on a toujours un regret c’est sûr. Après bon, le plus important est de savoir pourquoi cela n’a pas fonctionné ce jour là. Avec mon ex-femme, Liv Grete, on avait voulu trop bien faire, et comme souvent en biathlon ce n’est pas bon de trop penser au résultat, on a pas réussi à réaliser ce qu’on voulait. Et puis, c’était une course en altitude, je n’étais pas habitué, ce n’est pas une excuse, ce n’est pas que ça, mais voilà c’est un tout qui a fait que ça n’a pas fonctionné.

Vous avez à plusieurs reprises remporté le gros globe de la Coupe du Monde (x4). Quels sont vos pronostics pour le classement général cette saison ? Au-delà de Johannes Boe, qui pensez-vous capable de se dresser sur la route de Martin Fourcade ?
Il n’y a que Johannes qui puisse battre Martin Fourcade actuellement.  Si on regarde les dernières saisons, il n’y a jamais trop de surprises. Ce qui est bien pour cette saison, c’est qu’ils vont être deux à se battre et que Martin Fourcade ne va pas être tout seul, c’est beaucoup mieux pour l’intérêt de la compétition.

Ce duel-là nous fait penser à ce que vous avez vécu avec le tout récent retraité Ole Einar Bjorndalen ?  Que pensez-vous de son incroyable longévité  ?
C’est tout simplement impressionnant. Il a toujours fait du biathlon car c’était un jeu pour lui. Il trouvait toujours de nouvelles choses à travailler avec toujours une forte motivation ancrée en lui. Il faut absolument respecter ce qu’il a fait pour le biathlon. Maintenant il a sa femme, il est père de famille.

pensez-vous que Simon Desthieux, avec sa progression de la saison passée et la marge qu’il lui reste, pourrait remporter le général de la Coupe du Monde d’ici 2-3 ans ?
Pourquoi pas. Après on a vu sur les différentes années que c’était au niveau du tir qu’il avait des problèmes, car le physique, le niveau de ski, il l’a. Mais le biathlon c’est deux éléments à prendre en compte ; le physique et le mental. Donc il faut qu’il mette le mental avec le physique en même temps pour qu’il puisse espérer gagner le général un jour. Il faut voir.

Avec ces jeunes qui montent comme Emilien Jacquelin, Fabien Claude, Justine Braisaz ou encore les sœurs Chevalier, que pensez-vous de la relève de l’Équipe de France en général ? .
C’est une super équipe. Je pense que c’est une des meilleures équipes que la France ait jamais eu. Après ce sont des jeunes, on ne peut donc pas dire qu’elle va devenir la meilleure équipe du Monde tout de suite. Il faut prendre le temps de se former et avec l’expérience ça ira. Encore une fois, le biathlon ce n’est pas que du physique mais aussi du mental, il faut donc tenir sur la durée. On a vu Justine Braisaz qui l’an dernier fait un super bon début de saison, mais qui ne tient pas la suite. Il faut du mental, et pour cela il faut du temps.

Pensez-vous qu’ils soient trop jeunes pour faire une saison complète en Coupe du Monde ?
Non, après tout dépend la personnalité de chacun. Si tu peux patienter et attendre alors c’est très bien. Si par contre tu veux tout casser d’entrée et gagner alors là ça ne marchera pas, ça fera plutôt le contraire. Et ça, ça dépend des personnes, on est tous différent.

Allez-vous participer à des retransmissions sur les chaînes télévisuelles de nouveau cette saison ? Que ce soit sur Eurosport ou l’Équipe 21 ?
Oui, je vais commenter pour l’Équipe Tv, être sur les championnats du monde à Östersund et sur l’étape d’Oslo.

Que pensez-vous de cette nouvelle notoriété du biathlon sur les chaînes Télé? Avez-vous un regret de ne pas avoir eu cette médiatisation-là lorsque vous étiez biathlète ? Est-ce que cela vous a manqué ?
C’est vrai que l’on s’est battu pour faire connaître le biathlon. On a donné tout ce qu’on pouvait sur les pistes pour montrer une belle image de notre sport. Il y a une évolution depuis les années 80 jusqu’à maintenant, cela s’est vu sur les Jeux Olympiques, où à chaque fois, les courses de biathlon sont retranscrites. Je pense notamment aux Jeux d’Albertville en 1992 avec la médaille d’or des françaises en relais. (nb : pour la première participation des femmes en biathlon aux JO, l’équipe féminine composée d’Anne Briand, Corinne Niogret et Véronique Claudel – sous la houlette de leur entraîneur Francis Mougel, obtiendra le titre sur le relais). Ce titre a eu pas mal d’impact. Et puis aujourd’hui il y a tous les médias, tous les biathlètes sont sur Facebook, Twitter, bref, on peut parler du biathlon sans fin, et partout, c’est un grand changement. Je suis bien content d’être dans ma génération et de ne pas avoir connu ça car c’est maintenant quelque chose qu’il faut gérer en plus, c’est très prenant, c’est une pression en plus je trouve.

Interview du célèbre champion de biathlon raphaël Poirée

©Raphaël Poirée

Revenez-vous parfois skier en France ? Par exemple, est-ce que vous pourriez participer dans un avenir proche à la Transjurassienne ? Ou bien est ce que la compétition est vraiment derrière vous ?
Non, je continue à faire du ski mais maintenant c’est pour le plaisir . Je m’arrête tout le temps, je prends des photos, et je n’ai plus envie de pousser mon corps et d’avoir mal. Je pars découvrir les paysages, j’aime être dans la nature et quand je reviens en France justement je redécouvre de beaux endroits.


Si vous étiez encore biathlète aborderiez-vous votre carrière de la même façon ? Aimeriez-vous faire partie de ce groupe et courir contre Martin Fourcade par exemple ?
Cela aurait été un rêve de courir avec Martin, parce que c’est le meilleur biathlète qui ait jamais existé, c’est le plus complet et j’aurais appris énormément à son contact. Donc oui, cela aurait été un grand plaisir de courir contre Martin Fourcade.
De manière général l’équipe de France est beaucoup plus professionnelle, elle a plus les moyens, elle se donne aussi plus les moyens. Il y a par exemple moins de différences au niveau du fartage, de la glisse avec les Norvégiens. Par exemple avec l’achat en 2007 d’une structureuse (machine qui permet aux techniciens de créer à volonté des rainures sous les skis pour favoriser la glisse en limitant le frottement sur la neige), bien que les Norvégiens en possédaient déjà une depuis les JO de Salt Lake City en 2002 … Cette machine est en plus désormais transportable dans un gros camion pour se déplacer sur les différentes épreuves nordiques.

Si vous deviez choisir le meilleur du système Français et le meilleur du système Norvégien, quels seraient vos choix ? Et inversement, quels seraient pour vous les poins faibles de ces deux systèmes ?
Le meilleur de la Norvège, c’est que c’est un comité, une Équipe Olympique totale. Ils ont une base à Oslo où les meilleurs athlètes du monde peuvent aller et surtout où ils peuvent utiliser les meilleurs entraîneurs du monde, sur la musculation et pleins d’autres aspects. C’est justement quelque chose que je suis allé chercher et que j’ai utilisé là-bas car ça manque énormément en France. Le Comité Olympique en Norvège n’est pas du tout le même que le Comité Olympique Français. En France c’est plutôt des gens qui se rassemblent et font un buffet [rires]. En Norvège c’est du haut niveau, ils mettent de l’argent pour obtenir le meilleur.
Pour les points faibles en Norvège c’est clairement le tir, et le fait aussi que les jeunes commencent trop tôt, avec des parents qui sont vraiment toujours derrière eux. Les parents se rendent trop disponibles et font pas mal d’erreurs, ils poussent et ils pressent leurs enfants pour qu’ils deviennent les meilleurs. C’est comme ça que toute une génération est passée à la trappe. Alors qu’en France, on laisse les athlètes prendre leur temps et c’est super important.
Et aussi, le vrai point négatif de la France c’est le manque d’ouverture d’esprit. Le biathlon c’est un cocon, un cocon bien trop fermé, où tout le monde se connaît.

Pour finir, quel est votre plus beau souvenir de carrière ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre vie d’athlète ?
On va dire que c’est d’avoir fait le plus beau métier du monde et on ne peut pas rêver d’un meilleur travail, un travail-passion. Je ne me rappelle pas précisément des courses et de ce que j’ai mis en place à ces moments-là, mais je me souviens de tout le travail que j’ai accompli pour en arriver là. J’ai appris à connaître mon corps ce qui est énorme pour moi.

Un dernier mot ?
Je suis super content qu’il y ait des Coupes du Monde en France aujourd’hui. On le mérite et on l’attendait depuis un bon moment.

Donc vous auriez aimé vous aussi courir en France ?
Oui bien sûr. Nous avons quand même fait les Championnats d’Europe au Grand Bornand là encore mais il n’y avait pas autant de monde. C’était vraiment un grand plaisir de courir chez soi et quand on voit maintenant les gens comme au « Grand Bo », on mesure le changement.  Aujourd’hui  je suis un peu en dehors du monde du biathlon, je ne suis plus du tout les infos sauf bien sûr quand la saison commence et je m’y intéresse alors forcément un peu plus, mais maintenant on va dire que j’ai une autre vie.

Merci pour vos réponses et votre sympathie, on a hâte de vous revoir sur nos écrans télé cet hiver !

 

Interview réalisée grâce aux questions des supporters de biathlon, issues des réseaux sociaux. Propos recueillis par Marianne Crouvezier 

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