Interview biathlon Stéphane Bouthiaux

Bonjour Stéphane Bouthiaux, après une dizaine d’année en tant qu’entraîneur physique de l’Équipe de France masculine de Biathlon, racontez-nous un peu comment s’est passé votre transition pour être, aujourd’hui, Directeur Technique National du ski de fond et du biathlon ?
Stéphane Bouthiaux : Cette transition s’est faite de manière très naturelle. C’est un poste que l’on m’avait proposé depuis deux saisons déjà, par l’ancien DTN Fabien Saguez et le président Michel Vion. Voilà onze ans et trois Olympiades que j’étais coach physique en biathlon pour les garçons, il était temps pour moi de passer la main pour donner aussi un nouveau souffle aux athlètes. En effet, sur ces années-là l’Équipe a très peu changé, c’était aussi bien pour eux que pour moi d’évoluer, de changer, et d’aller vers de nouvelles missions.

 

Justement, pouvez-vous nous expliquer vos nouvelles fonctions et missions ?
En fait, mon statut est vraiment axé sur la politique nationale à la fois du ski de fond et du biathlon. Donc c’est prendre du recul sur ce qui s’organise dans les disciplines aujourd’hui, la manière dont elles sont organisées et réfléchir ainsi à une évolution à moyen et long terme pour se développer et continuer à avoir d’aussi bons résultats, voire mieux.

 

Vous avez amené Martin Fourcade à atteindre le rang de numéro 1 mondial, la pression et l’enjeu devaient être énormes à gérer. Pouvez-vous nous en parler ? Est-ce qu’aujourd’hui l’enjeu et la pression sont-ils les mêmes ?Il est évident que quand on arrive aux Jeux Olympiques avec Martin Fourcade ultra-favori, on est forcément attendu, lui sportivement et moi en tant qu’entraîneur. Donc c’est compliqué à gérer, la pression est vraiment importante sur nos épaules, c’est forcément plus facile avec des outsiders. Le fait qu’on ait pas le droit de se rater avec Martin Fourcade donne une pression importante et le meilleur moyen de l’évacuer c’est d’obtenir des résultats avant la grande compétition, afin que l’athlète et l’encadrement emmagasinent un maximum de confiance.

 

Sur vos onze années en tant qu’entraîneur, y a t-il des éléments que vous changiez au fil des ans dans la manière d’entraîner ?
Oui, on fait toujours évoluer par petites touches, on essaie d’apporter des choses nouvelles dans l’entraînement pour faire évoluer les athlètes et éviter de tomber dans la monotonie. C’est pourquoi d’ailleurs il était important de renouveler le staff. Car même si on change des choses, le discours envers les athlètes reste toujours le même donc cela fait du bien pour eux d’avoir de nouveaux propos pour se motiver à aller chaque jour à l’entraînement, à aller chercher des choses nouvelles. Changer le staff permet de renouveler le discours et de conserver la motivation au sein des athlètes.

Coupe du monde au Grand Bornand décembre 2017 ©Marie Le Bob


Malgré l’engouement énorme provoqué chez nos jeunes Athlètes par le numéro 1 mondial notamment, il semblerait que les moyens mis à leur disposition ne soient pas vraiment optimaux, dans le sens où le biathlon demande un investissement financier important (pour les sportifs, parents, clubs, les bénévoles etc). Ainsi, n’y a t-il pas une crainte que la fédération passe à côté de biathlète de talents ? Est-ce que des nouvelles choses vont être mises en place au sein des clubs, des comités, pour amener ces jeunes vers le plus haut niveau justement ?
Alors, amenez le plus de jeunes vers le haut niveau reste compliqué dans la mesure où le biathlon est un sport compliqué, dans le sens où les règles de sécurité sont très strictes et qu’il faut beaucoup d’encadrement. Au niveau des clubs, nous avons mis en place des formations organisées par la Fédération pour les bénévoles, afin qu’ils œuvrent dans les clubs et qu’ils soient formés pour accueillir les jeunes qui viennent faire de plus en plus de biathlon, dans de bonnes conditions. Après, le biathlon, il ne faut pas rêver, ne sera jamais une discipline de masse car cela demande trop de matériels et trop de structures. Mais on fait en sorte de ne pas rater des jeunes qui pourraient éventuellement devenir de futurs stars de haut niveau en biathlon.


Si l’on revient à votre 1er statut, celui d’entraîneur, lorsque vous étiez au bord de la piste à communiquer des informations aux biathlètes tricolores, pouviez-vous prendre des informations sur les concurrents également ? Comme juger de leur état de forme et de leur niveau pendant la course ?
Bien entendu, on donne des informations à nos athlètes et elles sont essentiellement chronométriques. Nous en donnons aussi sur l’évolution des conditions extérieures qui peuvent influencer les réglages de la carabine pour le tir, donc c’est principalement si le vent a forci, s’il a changé de direction. Ainsi, entre chaque tir couché par exemple, nous leur disons s’ils doivent changer leur réglage (nb : ce que l’on appelle les « clics » sur la carabine qui permettent de modifier, de bas en haut et de droite à gauche, le groupement des balles dans la cible) et ils l’effectuent eux-mêmes avant le tir qui arrive, pour compenser les conditions météorologiques. Au niveau des concurrents, on donne des écarts chronométriques, en fait nous avons des points intermédiaires sur le parcours et nous sommes reliés avec le chronomètre officiel de la course, comme cela nous avons des points de renseignements précis à leur donner. Ensuite, eux-mêmes, par rapport au fait qu’ils soient en avance ou en retard, selon combien de seconde, peuvent évaluer en direct l’état de forme de leur adversaire.


Cachez-vous alors parfois des informations à vos athlètes, comment cela joue sur leur moral ?
Les informations jouent forcément sur le moral des athlètes dans un sens comme dans un autre, mais il faut savoir qu’ils ont aussi leur propre sensation. Quand on arrive en Coupe du Monde, on a déjà un passé d’athlète de haut niveau donc généralement on se connaît bien et on arrive à savoir rapidement si oui ou non on est bien dans la course. Alors leur mentir, oui ça peut arriver, mais juste d’une ou deux secondes à la limite. Ce serait surtout par rapport à l’évolution de leur temps dans le dernier tour, quand il s’agit d’aller chercher un podium pour jouer sur l’effet psychologique. Mais on ne va pas jouer non plus sur de trop grosses différences dans les intermédiaires, deux secondes, jamais plus, juste pour leur permettre de s’arracher encore un peu plus dans le dernier tour.


Pouvez-vous nous dire un mot sur le nouveau staff de l’Équipe de France ? Notamment avec l’arrivée de Vincent Vittoz qui a pris votre poste au printemps, mais aussi de Patrick Favre pour la partie tir. Et du côté féminin ?
Coté masculin, on a donc l’arrivée de Vincent Vittoz (Lire l’interview de Vincent Vittoz) que j’ai moi-même embauché. Il a été très rapidement intéressé par le projet et motivé à venir encadrer cette équipe de France. Il a d’ailleurs tout de suite répondu par la positive, ce qui nous a vraiment prouvé sa motivation. Il a une expérience d’athlète énorme puisqu’il a été champion du monde de ski de fond, mais aussi une expérience d’entraîneur puisqu’il a entraîné pendant sept ans les U23 en ski de fond, donc des athlètes déjà de très haut niveau. Il a d’ailleurs réussi à faire obtenir de très bons résultats à ceux-ci, comme le titre de champion du monde en relais. Et aussi, ces athlètes-là sont aujourd’hui en grande majorité dans l’Équipe National de ski de fond.

Je pense qu’il va amener de la nouveauté, de la motivation et de la fraîcheur, ce que le groupe a besoin. En parallèle, nous avons aussi l’arrivée de Patrick Favre pour le tir. Lui aussi a été athlète de haut niveau puisqu’il avait fait 2ème du général de la Coupe du Monde. Côté entraînement, son potentiel est là lui aussi puisqu’il entraînait les filles en Italie, avant de s’occuper de l’ensemble de l’Équipe Italienne, donc au niveau du tir il a une grosse expérience qui n’est pas à démontrer. Il a la capacité à continuer le boulot qu’il a fait depuis des années avec ces biathlètes italiens.

Pour les filles, la venue de Fred jean et de Vincent Porret va apporter également un souffle nouveau. Ce sont deux jeunes issus des Équipes de France, ce ne sont pas des athlètes qui ont évolué sur le circuit Coupe du Monde, car ils ont beaucoup galérer à obtenir leur ticket, mais de ce fait ils ont explorer beaucoup de domaines pour voir comment progresser. Ainsi, ils ont une grosse motivation pour être arrivé à ce poste-là et on leur fait entièrement confiance pour remplir les résultats obtenus jusqu’à aujourd’hui. Ils vont ainsi apporter de la fraîcheur et de la nouveauté dans le discours.

A gauche : Stéphane BOUTHIAUX  et son successeur Vincent Vittoz  – Championnat de France Arçon ©Patrice Dutrulle ©estrepublicain


La relation entraîneur-entraîné est particulière. Est-elle plus compliquée avec certains athlètes qu’avec d’autres ? Comment gériez-vous ces relations, car je suppose que le discours n’est pas forcément toujours le même selon les différents caractères ?
Une chose d’abord est commune, il s’agit des réunions d’avant course durant la saison hivernale. C’est une réunion commune où l’on donne les informations, les consignes à respecter et on apporte la motivation à tous, on agit de la même manière. Par contre, au quotidien, nous avons des discussions personnelles, que ce soit d’ailleurs en période de compétition ou d’entraînement, avec chacun des athlètes. Nous discutons sur leurs feedbacks après leur entraînement ou leur course, et en retour nous leur donnons nos ressentis sur ce qu’ils ont produit, sur ce que l’on a vu de leur performance. Donc forcément le discours est adapté à chacun, mais le discours est aussi différent selon la situation de l’athlète, qu’il soit en forme ou non, malade ou blessé. Le discours s’adapte vraiment à la personne à qui on a à faire, à sa personnalité mais aussi à la connaissance que l’on a de lui.


Je rebondis justement sur ces derniers points, il n’y a pas de préparateur mental au sein des Équipes c’est bien cela ? Vous devez donc jouer ce double rôle d’entraîneur physique mais aussi un peu mental ?
Pour la préparation mentale le problème c’est que c’est un milieu difficile à cerner, et qui est fortement influencé par la personnalité du préparateur mental. C’est pourquoi nous ne sommes jamais aller jouer sur ce terrain là, ou alors quelques fois mais c’était voué à l’échec. Du coup, certains athlètes décident de travailler avec des préparateurs mentaux, mais ça reste une démarche personnelle et ce n’est pas à nous de leur imposer quelqu’un où ils ne se retrouveraient pas forcément dans le discours.


Quels contacts gardez-vous avec l’équipe de France de biathlon aujourd’hui ? Vous êtes justement allé à Sjusjoen en début de semaine rejoindre le groupe, c’est bien ça ?
Le contact n’est pas quotidien mais c’est vrai que je suis toujours très présent, car je vais être aussi beaucoup sur les compétitions cet hiver, donc le contact reste très proche. Je suis responsable des sélections pour la relève, les groupes juniors, le groupe B, donc avec tout le staff je gère plus de 50 personnes c’est un gros travail de management et c’est un travail quotidien où je dois rester informé.


C’est peut-être aussi un besoin de rester au contact avec eux, de ne pas couper du jour au lendemain ?
Oui, je ne peux pas effacer ces onze dernières années où j’étais 210 jours avec eux c’est évident. Il y a des liens qui se sont crées, et je suis heureux quand je les retrouve et je pense qu’eux aussi le sont. Je ne suis pas omniprésent car je ne voudrais pas venir, de manière non attentionnelle, perturber le nouveau staff et ce qu’ils mettent en place.

©Marie Le Bob

 

Enfin, quel regard portez-vous sur votre parcours et sur celui à venir ? Vos nouvelles ambitions ? Aviez-vous eu besoin aussi d’un peu plus de stabilité aujourd’hui ?
Disons que le regard que je porte sur mon parcours est que celui-ci est passé par tous les étages de la fusée. J’ai moi-même été athlète pendant douze ans, puis j’ai été entraîneur de club, ensuite j’ai passé mon professorat de sport qui m’a permis d’être placé au sein de la région Franche Comté et ainsi d’entraîner 6 ans au comité. Après, j’ai encadré pendant 4 ans le groupe jeunes/juniors au Pôle France de Prémanon pour finir ensuite sur le circuit Coupe du Monde. Donc c’est un parcours global, j’ai une connaissance complète de tout le système français. Ce n’est pas pour me mettre en avant mais je suis assez fière des résultats obtenus, 3 de mes athlètes sont champions olympiques ; Martin Fourcade, Vincent Jay (sur le sprint de Vancouver en 2010) et Simon Desthieux (sur le relais mixte à Pyeongchang en 2018). J’ai gagné des classements généraux de la Coupe du Monde, de nombreuses médailles olympiques et mondiales c’est pourquoi aussi c’était une bonne décision d’arrêter au printemps, c’était le bon moment. Je ne voyais pas ce que je pouvais apporter de plus, j’étais au bout du projet avec mes athlètes. Suite aux JO de Sotchi, j’avais un contrat moral avec Martin Fourcade, celui d’aller jusqu’aux JO de Pyeongchang. Il était super satisfait de notre collaboration et des liens que nous avons tissés. Je parle souvent de Martin car ça fait depuis 2006 que je suis avec lui donc forcément j’ai crée plus d’affinité avec lui que l’ensemble du groupe.

Pour la suite à venir, j’attends déjà de faire la saison complète, et de prendre du recul car ce n’est pas forcément facile de passer du côté de la piste à un poste aujourd’hui plus managérial. J’accumule un tas d’informations que je n’ai pas forcément encore, donc j’attends de voir comment cela va se passer. Au niveau de la stabilité, je passe beaucoup de temps en voiture donc je bouge encore pas mal ! Je ne suis encore pas beaucoup à la maison, certes plus qu’avant mais c’est surtout que je pars sur des périodes moins longues.

 

Interview réalisée grâce aux questions des supporters de biathlon, issues des réseaux sociaux. Propos recueillis par Marianne Crouvezier

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photo entête ©Nordic Focus

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