Interview biathlon, Simon Desthieux le retraité

Altitude biathlon : Simon, après plus de 10 ans au plus haut niveau, pourquoi décidez-vous de mettre un terme à votre carrière alors que vos résultats sont encore très bons ?

Ce sont des choix qui ne s’expliquent pas forcément. Ça vient assez naturellement de se dire « c’est la fin ». On sent qu’on a envie de faire autre chose dans la vie. Ça vient petit à petit, j’avoue que depuis l’été dernier j’y pensais déjà.

Donc c’est une décision qui était réfléchie depuis longtemps ?

Oui c’était réfléchi depuis un moment ! Parce que j’avais fait le tour, parce qu’en tête j’avais les Jeux de Pyong Chang. Il y avait aussi le contexte Covid…On a passé deux ans différents avec un peu moins d’ambiance, beaucoup de contraintes : par rapport aux tests et à toutes ces choses-là. Puis on avait pleins de projets dans la vie avec un petit qui est né il y a un an et demi. Le projet d’après carrière se présentait et se profilait bien. C’était le moment !

Quel a été le plus beau moment de votre carrière ?

Le plus beau, je dirais que c’est la médaille d’or aux Jeux en 2018 en relais mixte. Parce que ça a été le plus fort émotionnellement, c’est ce qui a entrainé le plus de belles choses derrière. Si on regarde la médaille de l’an passé avec les garçons, elle était très belle mais elle m’a moins apporté ensuite.

 

(Photo by NordicFocus)

 

Le 2 décembre 2021, vous portez pour la première fois de votre carrière le dossard jaune lors du sprint d’Ostersund, quel a été votre ressenti, vos sensations… ?

Ce jour-là, c’était un beau moment même si la course n’a pas été terrible. C’est venu très vite dans la saison, il n’y avait eu que deux courses. C’est toujours un rêve de porter un maillot comme ça. Et puis j’avoue que je n’en ai peut-être pas tellement profité. Quelque part j’avais envie de le garder, forcément ! Mais j’avais trop envie de bien faire, et il y a eu pleins de petites choses qui font que j’ai perdu le bel enchainement que j’avais eu sur les deux courses d’avant.

Quelle a été la pensée la plus insolite que vous avez pu avoir en arrivant sur un pas de tir ?

(Rires) Il y a toujours des questions qui arrivent un peu particulières, du style « Est ce que j’ai tout ce qu’il me faut pour me changer pour après la course ? Est-ce que j’ai une paire de chaussettes ? » Des trucs comme ça ! Mais avant le tir on a une espèce de rythmique, de routine qui permet de toujours se présenter au tir dans un certain contexte où les pensées doivent être fluides, parce que c’est un moment hyper important de la course. Donc il n’y a pas tant de choses que ça qui peuvent arriver en tête. Parce qu’on doit regarder les fanions pour connaitre l’état du vent par rapport aux réglages, parce que tout de suite on regarde la cible à laquelle on va s’installer et se mettre en place pour le tir. Donc ce n’est pas forcément là qu’arrivent les autres pensées.  (Rires)

Avec votre femme, Célia Aymonier, ancienne biathlète aussi, vous accueillez votre premier enfant le 30 juin 2021, un petit garçon prénommé Jules, quel impact a eu cette arrivée dans votre vie ? Comment avez-vous géré le haut niveau et la vie de famille ?

Ce sont les premiers mois qui sont les plus délicats, donc il faut s’adapter. Il faut récupérer, les nuits sont plus courtes. En tant que sportif, l’idéal c’est d’avoir du temps de repos, pour bien récupérer entre les entrainements quand on est à la maison. Parfois, je me demande comment gèrent certains sportifs lorsqu’ils ont deux, trois ou quatre enfants ; alors je pense qu’ils ne gèrent pas grand-chose entre nous (rire). Mais ça permet de prendre du recul sur les choses aussi.

Je me rappellerais toujours le premier stage où je suis retourné avec l’équipe : les petits problèmes de chacun, ça fait rire et ça fait prendre du recul en se disant « mais il y a d’autres choses dans la vie plus importantes que ce qu’ils ont mangé à midi » ou je ne sais quoi ! (Rire)

Est-ce que vous comptez l’initier un peu à ce sport ?

On verra ! S’il y a de la neige, on essayera de le mettre un peu sur des skis cet hiver. Juste pour voir si ça l’amuse mais il aura bien le temps de voir ça plus tard !

On sait que la transition sport de haut niveau et nouvelle vie est parfois difficile, comment s’est passée la vôtre psychologiquement et physiquement ?

Bien ! Elle s’est bien passée parce qu’on a un projet qui était bien avancé, ce qui fait que je me suis tout de suite tourné vers autre chose. J’en ai profité pour faire les choses que j’aime et qui m’avaient manqué ces dernières années avec le biathlon. Mais une vie toujours aussi active qu’avant ! Un peu moins de déplacements, parce que c’est ça qui devient difficile aussi : être toujours loin de la maison ! Ça fait du bien de se poser un peu et d’être au même endroit plus de deux semaines d’affilées.

Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur votre nouvelle vie ? Vous faites quoi de vos journées ? Par exemple une journée type ?

Oui oui ! Eh bien je garde beaucoup notre petit parce qu’on n’a pas le choix de le garder plus que le standard. Après on est dans la rénovation d’une maison de famille de Célia dans le Doubs, dans laquelle on a le projet de faire une auberge. Donc on n’a pas le temps de s’ennuyer. Je n’ai pas le temps de faire beaucoup de sport quoi ! Et pour autant je me suis même inscrit à la TransJu cette année ! Il n’y aura pas beaucoup de préparation, il n’y aura pas beaucoup de ski avant…

Donc de ce que vous me dites, vous pratiquez plus beaucoup ? Vous avez rangé votre carabine pour de bon ?

La carabine je l’ai sortie une fois dans l’été pour accompagner quelqu’un, mais sinon le tir pas du tout. Ce que je me disais l’autre fois : « j’ai fait en un été et en un automne, enfin quasiment en une année ce que je faisais en une semaine (rires) », donc on est dans un changement un peu radical. Mais après je bouge beaucoup, il n’y pas de soucis. Je ne suis pas en manque et puis il y a tout le reste ! Je pense que ça reviendra, pour l’instant on est dans cette période un peu transitoire à cause des travaux mais plus tard je reviendrai à faire du sport. Mais souvent ça se passe comme ça : les sportifs arrêtent, ils lâchent tout d’un coup parce qu’il y a besoin de rattraper des choses, et puis après ça revient à un moment où on en a envie, naturellement.

Etes-vous encore en contact avec vos anciens coéquipiers, vos coachs, vos adversaires de l’époque… ?

Oui oui ! Je suis retourné au Grand-Bornand, à la coupe du monde il y a quelques semaines. J’ai revu pas mal d’étrangers, c’était sympa de les retrouver. Et puis avec le reste de l’équipe, oui bien-sûr, surtout l’équipe garçons parce qu’il y a plus de liens qui se tissent. J’ai fait un tour pour revoir un petit peu tout le monde donc oui j’ai encore bien des contacts.

(Photo by NordicFocus)

 

Où en sont vos contrats avec l’armée et vos sponsors ? Parce que l’on sait que ça permet de vivre convenablement, ou du moins quand les résultats sont présents.

J’ai encore l’armée qui m’accompagne pendant quelques mois. Ça c’est hyper important, on en parle assez peu quand on attaque une carrière, de ces aides à la reconversion qui sont super importantes à un moment où l’on n’a plus de revenus, ou en tout cas plus de statut social. Donc ça permet, grâce à l’armée, de pouvoir se retourner, de faire des formations pour préparer la suite. On ne s’en rend pas compte quand on est dedans. Et après pour les autres sponsors, non je n’en ai plus. Enfin si j’ai Baouw, c’est une marque de barres et de purées pour le sport qui continue de m’aider mais c’est tout.

Maintenant que vous êtes spectateur, pour vous quel est l’avenir du biathlon ? Quel regard vous lui portez aujourd’hui ? Par exemple il y a Schalk en Allemagne, qui est une compétition en stade, on sait qu’il y a de plus en plus de courses en ski roues…

Parfois, je suis quand même inquiet par rapport à la situation climatique, ça devient de plus en plus délicat d’avoir des conditions de neige qui soient bonnes. Mais le biathlon se fera toujours parce qu’ils arriveront toujours à trouver des sites, parce qu’ils stockent de la neige d’une année sur l’autre mais au final ça perd un petit peu de son charme parce qu’il n’y a plus ce côté hivernal qu’on avait avant en décembre par exemple. C’est difficile d’attaquer une saison normalement début décembre avec des belles conditions d’hiver, c’est toujours de la neige artificielle. Ça me gêne parce que ça enlève un petit peu de plaisir pour la compétition. Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté.

Moi j’aime le sport nature, le sport plein air et parfois on a un petit peu trop oublié ça. La fédé internationale fait le choix de continuer d’aller sur des sites de compétitions qui sont assez bas en altitude où c’est compliqué d’avoir de la neige, donc c’est dommage pour tout ce côté-là. Mais pour le reste je continue de suivre le biathlon parce que j’aime ça, parce que c’est une belle passion. Pour l’instant je m’en suis détaché donc j’ai très peu de regard là-dessus mais je pense que ça reviendra dans les années à venir parce que j’ai aussi envie de rendre au biathlon certaines choses.

Si par exemple vous étiez directeur de l’IBU, qu’est-ce que vous changeriez ? Qu’est-ce que vous améliorerez ?

(Rire) Globalement on a de la chance parce qu’il y a une bonne gestion. Il y a beaucoup de chose qui sont très bien dans notre sport. Mais il y a certains formats à modifier ou à revoir parce qu’il y a des choses qui sont un petit peu sceptique par exemple le 20 km. Moi je trouve qu’il est un petit peu long mais c’est aussi ce qui fait son charme. C’est aussi le fait qu’il n’y en ait que trois dans la saison mais globalement si c’est un sport qui plait et qui marche autant en France en ce moment, il y a une bonne raison. Donc c’est que tout roule !

Est-ce que vous pensez que ce sport a atteint certaines limites physiques ou techniques. Par exemple Martin Fourcade, Johannes Boe on sait que ce sont des légendes par ce que d’un point de vue physique, ils étaient hors norme. Est-ce que vous pensez qu’il y a encore des athlètes qui peuvent aller chercher des records comme ils l’ont fait ?

Il y en aura toujours des gens qui viendront égaler mais battre ces records-là, c’est dur. Ils deviennent imbattables parce que dans l’histoire du biathlon, qui ira faire plus de 83 victoires que Martin ? C’est impossible parce que ça veut dire qu’il faut éclore tôt, faire une longue carrière, ne pas avoir de pépin, ni de blessures. Il faut toujours être là, sur tous les sites, tout le temps. Donc honnêtement, c’est compliqué de faire mieux que ça. C’est des records qui vont être difficiles à aller chercher, c’est clair !

Et d’un point de vue technique ? Par exemple avec les techniques de farts, est ce que ça peut encore évoluer ?

Non parce qu’on plafonne depuis un paquet d’années et maintenant on revient presque en arrière. On arrête le fluor, ce qui est plutôt une bonne chose. Ou on l’a un petit peu modifié par rapport au fartage. Ce qui fait que ça stagne, voir ça régresse un petit peu. Et puis au niveau de l’arme, l’IBU fait toujours en sorte que la sécurité prenne le dessus. Il a toujours eu des règlements en plus pour éviter qu’il y ait des choses qui évolues de ce côté-là donc ça reste assez stable pour tout ça.

Tout à l’heure vous me disiez que vous continué quand même à suivre un peu. La saison est encore longue mais est-ce qu’il y a déjà une course qui vous a fait vibrer ce début de saison ?

Oui forcément, il y en a une qui m’a fait plus vibrer que les autres parce que j’étais sur place. C’était les Mass Start du Grand-Bornand, c’était vraiment chouette parce que l’ambiance était là, le niveau était là. Les filles ont été extraordinaires, les garçons un peu justes par moments mais ils ont joué devant en tout cas au début, puis Fabien est revenu sur la fin. C’était un beau moment de sport et je suis content de pouvoir le vivre différemment que ce que je faisais à l’époque, lorsque j’étais athlète.

Anaïs Bescond, elle aussi retraitée depuis la fin de saison dernière, est maintenant coach de tir de l’équipe handisport, est ce que cette idée pourrait vous plaire un jour ?

Elle pourrait me plaire, mais pas forcément tout de suite. Pour l’instant on a d’autres projets. Je ne sais pas encore à quel niveau. Je ne sais pas si le très haut niveau me plairait. Parfois j’ai peut-être plus envie d’aller vers les clubs ou vers les jeunes pour partager déjà la passion avant d’encadrer au plus haut niveau. Mais je pense que ça passe aussi par là quand on attaque une carrière d’entraineur, de passer par les plus jeunes pour se faire la main sur l’apprentissage du biathlon.

Si on vous proposait un poste, ce serait plutôt coach de tir ou ski ?

Ça c’est une bonne question ! Je crois que j’aime de plus en plus le côté tir. Il y a pleins de choses à apporter alors que le côté physique c’est globalement souvent la même chose. On peut évoluer mais on ne peut pas toujours tout révolutionner. Alors qu’au tir on peut revoir beaucoup de choses. Il y a le côté mental qui est hyper important et intéressant je trouve. Il y a beaucoup de choses à faire évoluer chez les personnes. Et donc ça, ça peut être sympa !

 

(Photo by NordicFocus)

 

Pour vous quel(le) biathlète va remporter le gros globe cette année ?

Cette année c’est déjà un peu fait même si on aimerait que ça bouge encore. La façon dont les points sont comptés, ça fait encore plus de différence qu’avant. Il peut encore se passer pleins de choses mais globalement Johannes Boe est tellement fort et tellement au-delà que ça va être compliqué d’aller le chercher. Et chez les filles, on voit une Julia qui est bien. Après c’est encore long mais je ne vois pas tellement qui pourrait être assez stable pour aller l’embêter sur le long terme. Elle est vraiment forte au tir et physiquement, elle est forte partout ! Après il faudra tenir sur la longueur jusqu’à la fin, parce que le plus dur dans cette quête du général c’est de tenir jusqu’au bout et de gérer cette pression qui est vraiment grande et surtout de gérer ces sollicitations qui sont importantes surtout quand on est en tête du général.

 

Simon, merci beaucoup pour le temps accordé. Je vous souhaite une très bonne continuation.

Interview réalisé par Flavie Guichardon, le 5 janvier 2023.

Crédits photos – Nordic Focus