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Interview biathlon Quentin Fillon Maillet, le persévérant
Altitude biathlon : Quentin, tu as été troisième du classement général de la Coupe de Monde l’hiver dernier. Quel a été ton parcours pour en arriver là ?
Eh bien ça s’est fait simplement et naturellement en fait. Je suis né dans le Jura qui est une terre de ski de fond. Mes parents étaient sportifs et naturellement, j’ai été mis sur les skis assez tôt. J’ai d’abord fait du ski de fond, puis du biathlon. Mes résultats s’amélioraient. J’ai été champion de France dans la catégorie cadet… J’ai été sélectionné en équipe de France B, puis après quelques bons résultats en IBU Cup (2012), j’ai intégré l’équipe de France A en 2014 je crois…A partir de là, ma progression a été constante…J’ai commencé à faire des podiums…puis l’hiver dernier, j’ai gagné ma première épreuve en coupe du Monde à Antholz…puis Soldier Hollow…Pour être honnête, je ne pensais pas en arriver là un jour. J’ai touché un rêve de gosse l’hiver dernier.
La saison dernière, tu as réalisé quelques exploits, à Antholz comme tu le disais, mais aussi à Nove Mesto, Soldier Hollow, et Ostersund…Tu as tenu tête à Johannes Boe sur plusieurs courses, parvenant même à t’imposer parfois. As-tu conscience d’être regardé comme un leader aujourd’hui et non comme un outsider ?
Tout comme ma progression dont je te parlais précédemment, tout cela s’est fait progressivement. A Ruhpolding lors de la saison 2014-2015, mon statut d’outsider était un avantage. Personne ne pensait que je pouvais faire un podium et je pouvais bluffer. Désormais, mes concurrents me connaissent, savent quels sont mes points forts…et si je me retrouve devant, je dois assumer mon statut…Et forcément, l’attitude de mes concurrents en course change. Je ne peux plus la jouer au bluff (rires). Mais en même temps, d’être considéré comme un des leaders, ça peut être un avantage. Psychologiquement, ça me décomplexe, et puis j’ai désormais de l’expérience.
(Photo by Kevin Voigt / VOIGT)
Comment sens-tu la saison 2019-2020 ?
Comme chaque année, j’ai focalisé ma préparation estivale sur mes « failles ». J’ai donc, comme l’été dernier, travaillé mon tir que je veux faire évoluer. Je dois encore travailler la rapidité, la précision….Pour la saison qui arrive, je me sens plus serein, j’ai moins d’appréhension.
La saison dernière, tu t’es souvent retrouvé devant Martin Fourcade. Simon Desthieux aussi s’est retrouvé parfois devant, idem pour Antonin Guiguonnat….L’équipe de France masculine est très forte. Quelles sont les relations entre vous tous ? La rivalité entre vous a-t-elle un effet positif ?
C’est très clairement un avantage de se retrouver dans une équipe aussi forte. Ça donne des repères très fiables car à l’entrainement, je sais que je suis à coté des meilleurs…Emilien et Fabien progressent aussi et à nous tous, nous constituons une belle équipe. La rivalité entre nous, c’est sur la piste qu’elle existe, mais c’est une rivalité saine. L’ambiance au sein de l’équipe est géniale.
Comment fait-on pour ne pas prendre la grosse tête lorsque l’on est l’un des meilleurs biathlètes au monde ?
J’ai trop vu dans ma vie des sportifs non représentatifs de leur sport. Je ne veux pas leur ressembler. J’ai été éduqué avec des valeurs simples, je suis bien dans cette vie et je ne veux pas changer. Le biathlon est avant tout pour moi un plaisir et je le pratique dans cette dynamique. Ce que je recherche, ce sont des émotions. Et puis je sais aussi que nous sommes regardés à la TV sur l’Equipe 21, lors des interviews…et notamment par un grand nombre d’enfants qui pratiquent le ski de fond en club…Je ne veux surtout pas montrer une mauvaise image.
Parviens-tu à vivre du biathlon ?
Oui, aujourd’hui, j’en vis bien. Les primes de courses, les sponsors me permettent de vivre très convenablement. Mais ça n’a pas été facile d’en arriver là. S’il n’y a pas de résultats, les choses sont un peu plus compliquées. Et lorsqu’on cumule une vie de sportif de haut niveau et des études, c’est encore plus compliqué…J’ai une anecdote intéressante à ce sujet à te raconter. Il y a 6 ans je crois, la Sécurité Sociale m’appelle car ma situation administrative dans leur base de données était très floue. Je n’étais ni salarié, ni étudiant, je n’étais plus sous le régime d’assurance maladie de mes parents…Ce sont des périodes difficiles dans une vie de sportif de haut niveau…Il faudrait vraiment des améliorations sur ces points. Et dans l’équipe de France, certains sont obligés de bosser pour vivre, en plus des entrainements…Malgré la médiatisation du biathlon, on est à des années lumières du foot ou du tennis en termes de revenus.
Quentin, tu n’as que 27 ans. Tu étais troisième du classement général de la coupe du monde l’hiver dernier. Franchement, on te vois bien endosser le dossard jaune cet hiver. Est-ce que tu y penses le matin en te rasant ? (Rires).
On verra bien. Evidemment, il m’arrive d’y penser mais ça reste un rêve. Une saison, c’est long. Et vu le niveau, pour endosser le dossard jaune, cela signifie d’être sur le podium à chaque course. Parvenir à cela, durant les 4 mois de la saison, c’est vraiment dur. Je pense que j’ai encore un palier à franchir, mais c’est le rêve ultime en effet.
Combien d’heures d’entrainement accumules tu dans l’année ? En tir ? En ski ?
Il m’est compliqué de dissocier les heures passées au tir et les heures passées à la préparation physique. Le biathlon, c’est le tir et le ski ensemble. En cumulé, je suis environ à 1000 heures par an d’entrainement. A cela s’ajoutent les interviews, les sollicitations par les partenaires, la fédération française de ski… En dehors des entrainements, et des courses l’hiver, nous avons une deuxième vie professionnelle qui est la gestion de notre image…et nous n’avons volontairement pas d’agent. Moi, j’aime bien ce travail, une fois la course terminée, la récupération faite…en hiver. Je gère ma petite entreprise (rires).
Quelle est ton hygiène de vie ? Pèses-tu par exemple tes aliments ? T’autorises-tu à boire de l’alcool, à manger du saucisson ?
Non, je suis très loin d’être dans l’extrême sur ces questions-là. Chaque année, j’essaye d’être plus rigoureux mais je m’autorise quelques plaisirs. Je ne suis évidemment pas dans l’excès, mais je ne veux pas m’imposer un régime trop dur qui psychologiquement pourrait aussi avoir un effet inverse…Je ne veux pas craquer par trop de privations en milieu de saison.
En été, que fais tu pour rester en forme ? On t’a vu cet été en ski roue dans le col de l’Iseran, mais aussi en VTT à Val d’Isère et dans le Jura…en trail au Tre Cime Di Lavaredo pendant le stage à Antholz …
Ma discipline préférée l’été, ça reste le ski-roue. Mais pour éviter la lassitude, aussi parce que parfois, la météo ne permet pas de faire du ski-roue, on varie les entrainements. J’aime bien le VTT. Le stage à Antholz et courir avec les copains dans les montagnes, ça c’était génial. A l’heure ou je te parle, je suis de retour du sud de la France. Cette semaine, dans nos programmes d’entrainement, il était prévu un peu de repos et avant une saison qui est longue, il me fallait décompresser. Ces périodes de repos sont hyper importantes dans la gestion de la saison et il ne faut surtout pas les négliger.
Que dois tu encore améliorer ?
Le tir me pénalise encore. Physiquement, je dois encore aller gratter sur ma préparation physique, peut être avec un stage en altitude. La démarche de notre staff et des entraineurs en particulier est bonne. Stéphane Bouthiaux avait amené une sacrée base et Vincent Vittoz amène la touche du fondeur. Il a des exigences encore plus fortes mais il sait que nous pouvons y arriver. Il veille vraiment à ce que nous arrivions au début de saison dans les conditions physiques idéales.
Quentin, merci beaucoup pour ce bon moment en ta compagnie. Je te souhaite tout le meilleur pour cette saison 2019-2020. Bravo pour ce que tu es.
Crédit Photos par Kevin Voigt / VOIGT avec l’aimable autorisation de Viesmann France
Interview menée par Guillaume TROLONG-BAILLY avec l’aide des questions issues des réseaux sociaux