Interview biathlon Siegfried Mazet

Recruté par la fédération norvégienne de biathlon au printemps 2016 et promu entraineur de tir des biathlètes de l’équipe norvégienne hommes de biathlon, Siegfried se confie sur sa nouvelle aventure au pays du ski nordique sur les terres du « roi » Ole Einar Björndalen.

 

Altitude Biathlon : Quel bilan tirez-vous de votre première année en tant que coach de l’équipe nationale norvégienne de biathlon ?
Siegfried MAZET: Bon et encourageant.

J’ai le sentiment d’avoir comblé un manque au niveau de l’approche mentale du tir en particulier et du biathlon en général.
Depuis mars 2016 je suis le coach de l’équipe et j’ai pu observer et apporter une approche différente du tir. Dans une équipe qui a une culture majoritairement orientée sur la performance à ski et des athlètes livrés à eux-mêmes au tir, c’était nécessaire de changer un peu les mentalités et c’est un challenge intéressant.

Quels sont les leviers que vous utilisez pour faire changer ces mentalités ?
Tout d’abord ce qui est très caractéristique à cette équipe c’est la façon dont l’équilibre entre l’aspect physique et l’approche du tir est assez inégale. Je me « bats » pour lui faire admettre que oui c’est important d’aller vite sur les skis mais qu’une fois derrière la carabine il faut garder de la fraîcheur, de la lucidité. C’est mon principal levier et pas des moindres tant la culture du ski et de la force physique est ancrée dans les mentalités et les pratiques. Mais j’ai des athlètes qui adhèrent au projet comme Johannes Boe et Lars Helge Birkeland notamment: ils ont très vite compris l’intérêt de mon approche du biathlon.

Concrètement comme faites-vous pour faire passer votre discours ?
Ce n’est pas évident mais je leur dis de ne pas s’éparpiller à l’entraînement, et d’aller trop loin dans l’effort sur les skis en intensité. Ceci afin d’arriver sur le stand plus frais tout en s’épargnant les maladies dans l’hiver suite à une trop forte sollicitation physique. Ensuite je leur explique qu’un athlète du calibre de Martin Fourcade utilise l’énergie au bon moment, il fait le geste qu’il faut où il faut et ses « stats » de tir sont top. Le tir c’est de la gestion, en ce sens Martin gère très bien ces aspects-là tout en restant aux avant-postes.

 

 

Quels rapports entretenez-vous avec vos anciens partenaire biathlètes de l’équipe de France ?
Je les côtoie bien sûr, nous avons tissé des liens forts après plus de 10 ans à vivre ensemble et bien qu’adversaires aujourd’hui on apprécie de se revoir sur les coupes du monde.

Même avec Martin Fourcade ?
Avec Martin c’était plus compliqué en novembre/décembre derniers nos rapports étaient plutôt froids, puis pendant les championnats du monde en Autriche ça allait un peu mieux puis en mars on s’envoyait quelques blagues. On s’est parlé et on a échangé des textos ! Depuis ça va beaucoup mieux.

C’est un athlète qui vous en a voulu plus que les autres a priori?
 J’ai toujours beaucoup d’admiration pour Martin, en fait je crois aussi le connaître en disant que c’est un athlète revanchard qui peut parfois se nourrir de ce genre de situation de tension pour avancer. Notre petite brouille a été une source de motivation supplémentaire pour performer. Je savais qu’en partant cela n’allait pas lui couper les jambes bien au contraire.
Je crois qu’il marche au sentiment de revanche parfois et qu’il tire parti de ces situations délicates et les utilise comme carburant à son formidable moteur. Ses prises de positions contre le dopage face à certains biathlètes russes, c’est aussi une façon de puiser un supplément d’énergie.
Attention je précise que je respecte par ailleurs son engagement contre ce fléau qu’est le dopage.

Etes-vous satisfait de votre choix d’être parti pour la Norvège?
Oui et cette opportunité est même tombée à point nommé car pour être honnête je sentais que depuis 2 saisons mon discours commençait à s’user. J’ai travaillé plusieurs saisons aux côtés de Stéphane Bouthiaux, et j’ai aussi ressenti le besoin d’autonomie, d’aller voir ailleurs et de prendre un risque, de sortir de mon confort. J’ai été servi et j’ai beaucoup appris. 

Comment s’est passé votre recrutement ?
J’ai été chassé par les norvégiens en 2016 et c’est amusant de penser que j’avais toujours dis à ma femme que le jour où les norvégiens feraient appel à un coach français les poules auraient des dents…

Bref ils m’ont fait comprendre qu’ils avaient besoin de quelqu’un de compétent afin de combler des lacunes en biathlon et en tir tout en précisant que leur objectif n’était pas de déstabiliser l’équipe et Martin en particulier. Mais je ne suis pas dupe non plus ça leur a sûrement effleuré l’esprit  

  

 

Comment gérez-vous le cas Ole Einar Bjorndalen qui s’entraîne et vit en dehors du groupe ?
Le fait qu’OEB ne soit pas avec nous m’arrange à vrai dire. Il est à l’égal de Raphël Poirée qui en son temps avait déjà sa structure privée et un mode de fonctionnement en électron libre. C’est assez compliqué à gérer en effet car il est intouchable de par sa notoriété et ses résultats qui sont encore très bons.
Là où c’est le plus dur, c’est qu’OEB a un fort pouvoir de décision au sein-même de l’équipe et cela peut même parfois influencer les coachs.
C’est un athlète d’exception qui bénéficie dans son équipe d’une sorte de « wildcard » sur toutes les coupes du monde et qui peut au dernier moment annoncer qu’il ne viendra pas ou qu’il a décidé de s’aligner au départ d’une course ; ce genre de comportement peut se faire au détriment d’un athlète plus jeune qui aura été sélectionné en amont et qui finalement se retrouvera sur la touche. Pas facile à gérer pour les coachs.
Personnellement on s’est vus sur un seul stage au printemps puis plus rien, mais on reste en contact téléphonique une fois tous les 15 j.

Pensez-vous qu’il continuera sa carrière après les JO s’il décroche une autre médaille olympique ?
J’espère qu’il arrêtera. Enfin personnellement si j’étais lui j’arrêterais sur un coup d’éclat. Et puis il n’est plus tout jeune, il a une famille maintenant…

Et quels sont vos rapports avec le reste du groupe?
Je m’entends bien avec les frères Boe et Emil SVENDSEN, après un an à cohabiter on passe du bon temps et puis côté job je leur mets plus la pression, je leur demande plus d’exigences envers eux-mêmes quand ils sont derrière leur armes, l’exigence du haut niveau requise pour jouer les tous premiers rôles.

Je les oblige à penser comme un biathlète et non pas comme un fondeur (skieur de fond) en cassant un peu l’image qu’un biathlète norvégien c’est avant tout un très fort skieur auquel on demande de limiter la casse au tir, je caricature un peu.

Vous avez déjà participé à des conférences en entreprise avec les thèmes de réussite et d’excellence est-ce un exercice qui vous plait de parler de haut niveau ?
C’était très intéressant mais je ne suis pas un spécialiste de ce genre de conférence ; par contre j’ai relaté mon expérience de coach et cela a plu. Les participants ont pu prendre ce qui leur parlaient dans la manière d’accompagner un athlète vers l’excellence, les phases de préparation avec objectif vers le jour J et j’ai suscité pas mal de questions.

Personnellement comment voyez-vous votre avenir en Norvège ?
Avec ma famille nous venons de passer 3 mois sur place. Ma femme profiterait plus que moi si nous devions vivre en Norvège car je suis souvent en déplacement, mais la vie est extrêmement chère et pour tout. J’ai un contrat de 2 ans avec l’équipe et on m’a déjà parlé de prolonger de 2 ans… 

Si on vous demande le podium pour l’épreuve sprint des JO ?
Ola, non c’est compliqué de s’avancer, on y verra plus clair lors des premières étapes de coupe du monde. Je vois bien un outsider sur le podium pour le sprint des JO, c’est tout ce que je peux dire.

Merci Siegfried pour cette entretien

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