Interview biathlon Franck Badiou

Bonjour Franck, vous avez été à la tête de l’équipe de France de biathlon de 2016 à 2018 comme entraîneur de tir, pouvez-vous nous préciser votre rôle aujourd’hui ?
Franck Badiou :
Je continue l’accompagnement de la nouvelle équipe sous la houlette de Patrick Favre et de Vincent Poret avec l’intégralité de ce que je faisais auparavant dans le cumul : toutes les préparations, test de matériels de tir pour l’ensemble des équipes fédérales, la relève et le groupe A.

Vous avez été médaillé olympique de tir en 92, comment êtes-vous arrivé à ce poste d’entraineur national de tir de l’équipe de France de biathlon ?


Franck Badiou : Alors mon parcours débute par un professorat de sport en 90, avec des missions sur les athlètes de haut niveau de la fédération de tir. Ensuite des missions de détection des jeunes sur le tir aux armes d’épaule à la carabine.
Suite aux changements de politique,  j’ai trouvé que les critères étaient de plus en plus élitistes;  je me suis donc retrouvé un peu à l’étroit et la situation devenait un peu tendue notamment en 2005.
Jean Pierre Amat et Yves Delnord, s’étaient tous les deux déjà expatriés de la fédération de tir, vers le biathlon. Yves Delnord qui était mon coach depuis cadet quand j’étais athlète et qui est la personne la plus important dans le domaine du tir à mes yeux, avait pris ses missions dès 98 comme préparateur d’armes. Nous avons gardé une étroite relation avec Yves. Voyant arriver la retraite et me sachant un peu malheureux dans ma situation avec la fédération de tir, il m’a proposé via l’énergie et le soutient du CNSM, de reprendre sa mission d’armurier et de rejoindre la famille du biathlon.
Donc ça s’est ficelé surtout autour de Yves et du CNSM, qui a créé ce poste spécialement pour pouvoir m’accueillir et offrir aux équipes de France de biathlon un panel complet en matière d’approche du tir sportif.
Sous l’aile de Yves pendant 2 ans, je suis rentré gentiment dans le cursus comme maître d’armes au sens large du terme. Stéphane Bouthiaux, qui était le patron de la section de biathlon me faisait parfois intervenir sur les séances avec ses biathlètes au printemps quand ils font beaucoup de tir de précision. C’est ainsi que j’ai croisé des jeunes comme Martin et beaucoup d’autres. Puis avec le départ de Siegfried Mazet il y a 3 ans, qui est parti rejoindre l’équipe nationale norvégienne, ils ont naturellement pensé à moi qui intervenais déjà souvent aux côtés des entraineurs.

Au niveau de vos entraînements, accordez-vous plus d’importance à la technique ou au mental  ?
Franck Badiou : 
Les deux sont étroitement liés. Je ne pense pas qu’il faille mystifier le tir, en disant que c’est 80% dans la tête. Sans élément technique, sans savoir-faire on peut continuer à jouer plutôt que d’être dans le travail, mais mais c’est un cheminement qui à ses limites. Pour moi c’est un mélange des deux et c’est l’intégralité de l’enseignement du tir qui doit de se consacrer aussi bien à l’un qu’à l’autre.

On entend souvent les biathlètes parler de la fameuse pensée parasite, avez vous des techniques particulières pour essayer d’atténuer cette intrusion ?
Franck Badiou : 
La pensée parasite se glisse dans les interstices, dans les logements libres qu’on lui laisse. Si la pensée est accaparée par quoi faire au bon moment c’est bon, il faut occuper le terrain. Le tir n’est pas que de la technique c’est aussi employer ses méninges pour éviter d’être perméable. On parle de séquence de tir, de séquence mentale. C’est le pendant des gestes techniques. Ça veut dire utiliser les directives mentales pour que la technique se mette en place, pour être occupé à réaliser cette quête technique avec un haut niveau d’activation, d’interêt et d’enthousiasme comme disent les rugbymen. Un petit plus sur lequel il faut savoir jouer le jour de la compétition. Avoir une pensée douce ou un voeu pieux ça ne résiste pas aux pensées parasites, il faut vraiment avoir une rage terrible autour de la volonté et la détermination pour exécuter ce que l’on est venu faire et là ça peut marcher.

La programmation des entrainements est-elle spécifique à chaque biathlète ?
Franck Badiou : 
J’aime bien fonctionner avec les biathlètes comme le font les maîtres d’ armes en escrime. Je m’explique  quand on est en stage, on y est pour apprendre la leçon. A coté on a l’équivalent d’un jour passé chez soi ou l’on peut mener sa propre quête personnelle. Pendant les stages c’est programmé de manière collégiale, c’est à dire pour tout le monde la même chose avec quelques adaptations, mais c’est un seul message commun et puis après des objectifs intermédiaires individuels à mener pour chacun jusqu’au prochain stage. Donc c’est à eux de passer du temps en fonction des carences à combler.

Cette année il y a eu de nombreux départs de biathlètes, beaucoup de changements dans les staffs au sein des différentes nations, comment appréhendez-vous la future saison qui arrive ?
Franck Badiou : 
C’est difficile à dire, je ne sais pas si les opposants à Martin seront revanchards et si ils auront le capital nécessaire. Pour les derniers jeux de Peyongchang, nous avons réalisé un travail un peu plus approfondi, nous y avons mis plus d’intention et d’envie. Il reste forcément des traces intéressantes dont on bénéficie à postériori. Ceux qui n’ont pas eu la chance d’être récompensés aux JO, auront toujours cette envie car en manque de quelque chose, ils risquent donc d’avoir le bénéfice de la charge de travail de l’année passée. Je pense à Johannes Boe, qui va vouloir aller de l’avant cette année. Il n’a pas eu la réussite escomptée à ses yeux en Corée, ce qui me fait dire qu’il va vraiment donner du fil à retordre à Martin.

Avec l’arrivé de Patrick Favre cet été, la méthode de travail est-elle différente ? Est ce qu’il y a des choses qui vous ont surpris dans son approche du tir ?
Franck Badiou : 
Non, pas du tout. Il a amené de la nouveauté c’est certain et explore des pistes que j’avais un peu remisé. Il  a envie de certaines choses et les athlètes trouvent de l’intérêt donc c’est déjà tout bon. Cette méthode leur permet de réfléchir à ce qu’ils font derrière une arme, c’est le plus important. Il a également ce discours de sage qui est essentiel dans un milieu qui peut parfois être électrique. C’est toujours bon dans une équipe d’avoir quelqu’un qui tempère qui canalise par sa sagesse et cela va aider l’encadrement des filles qui est encore jeune. Il va emmener la composition nécessaire pour le biathlon, pour tenir les troupes. Il n’ose pas encore car il n’est pas nommé responsable de la coupe du monde, c’est Vincent Vittoz, mais petit à petit, je l’incite à prendre les devants car c’est lui qui doit « tenir la cagette ».

Nous avons tous en mémoire, la mass-start d’Oslo en 2017, lui avez-vous enseigné la technique du lancer de chargeur ?
Franck Badiou :
(Rires) non mais par contre, c’est vrai qu’à ce moment là, nous n’étions pas loin de la panique ! Le lancer à été réalisé proprement par Jean Paul Giachino car moi j’étais décalé sur les tirs débout, je prenais d’autres infos. C’est Jean Paul qui a été inspiré et foudroyant sur ce coup-là.

Pour vous, aujourd’hui, qui est le meilleur biathlète face aux cibles, toutes nations confondues ?
Franck Badiou : 
Le meilleur, ça reste Martin, incontestablement. Après on ne les connaît pas tous intimement mais je connais trop l’approche de Martin, la manière dont il a géré tout ces évènements, les situations risquées et autres. Pour comparer avec tous les athlètes de tir  des disciplines d’été, que je connais le mieux sur l’INSEP notamment, je trouve que son approche est remarquable surtout sachant que ce n’est pas quelqu’un qui a le tir dans la peau, il l’a appris, il l’a domestiqué et il a travaillé comme un dingue.
Après bien sûr qu’il a des qualités physiques exceptionnelles, mais un excellent biathlète c’est les deux. Martin n’est pas simplement qu’un moteur, il est hors normes au niveau de la tête. Peut être qu’un Simon Schempp est exceptionnel mais je n’ai pas le même sentiment lorsque l’on croise les regards que l’on voit les attitudes. Quand on observe Martin on se dit qu’il est à 110%.  Il a un intellect fabuleux, une analyse rare en pleine action, Il traite toutes les informations proprement. C’est vraiment une machine !

Les jeux olympiques ont été une belle réussite pour l’équipe de France mais quel à été le moment le plus fort, émotionnellement à vos yeux ?
Franck Badiou : La poursuite victorieuse de Martin, sans hésiter ! Une totale démonstration de tout les savoirs -faire qu’on a mis en place. Pour chaque situations il a su prendre l’outil adapté pour continuer à bien tirer. Dans ces circonstances et compte-tenu de son petit retard au départ c’était compliqué à gérer.
A ce moment-là on se dit qu’il l’a déjà fait à Sotchi donc il va le refaire. Mais c’est encore plus compliqué que ça. Il a réussit à éviter d’être trouillard, fermé ou à vouloir bétonner ces tirs pour assurer le coup.  Il a été capable, non seulement d’être original, mais d’avoir le courage de tenter d’autres petites choses à des moments clés et c’est ça qui est ultra fort . Cela m’a mis la larme à l’oeil.


Depuis quelques années, il y a un engouement croissant autour du biathlon, une bonne chose pour la discipline, comment expliquez vous cela ?
Franck Badiou : Les droits télé, l’Équipe TV qui a pris ça à son compte, cela a fait le plus grand bien à la discipline. Grâce à cela les gens ont découvert les scénarios improbables du biathlon, des tragédies, des grands moments de sport. J’en suis presque jaloux, car je viens d’une discipline obscure. La combinaison entre les jolis paysages, la performance physique et l’incertitude permanente liée au tir, fait que c’est un sport très attractif. En plus les gens ont découvert des personnages comme Martin, Marie, Justine… humbles, posés, tranquilles, avec de vraies personnalités.

Comment envisagez-vous votre avenir  ?
Franck Badiou : 
Je vais voir comment mon apport en soutien ou en technicien supplémentaire peut être considéré ou pas dans le staff. Si je vois qu’ils arrivent à faire leur sauce tout seul, que je suis d’un faible intérêt, je n’irais plus sur les coupes du monde, je me tiendrais en retrait avec seulement une présence ponctuelle à leurs côtés.
Il y cependant plein de choses à faire au niveau du développement du matériel au CNSN (centre national de ski nordique) à Prémanon, et d’autres choses qui s’organisent au  niveau de l’ IUT d’Annecy et de Polytechnique.

Que pensez-vous des sportifs amateurs qui s’initient au biathlon* avec tir à la carabine 22 LR  ?
Franck Badiou : 
Je ne suis pas contre, au contraire, j’ai été estampillé au niveau compétition avec peut-être un côté un peu intégriste autour des disciplines olympiques. Je pense qu’il faut animer les stands de biathlon ou stands de tir et la chose positive quand on est derrière une arme dans ce genre de sport, c’est qu’il n’y pas besoin de se comparer à autrui.

Seriez-vous tenté pour intervenir dans des séminaires d’entreprises pour montrer le parallèle réussite au travail et réussite sportive par le mental  ?
Franck Badiou : 
Oui, après il faut pas trop se la raconter non plus quand on est entraîneur. Il faut en tout les cas parler avec ses mots, ne pas vouloir donner la leçon à des managers qui en savent encore plus sur la psychologie du travail, même si cette dernière est proche de celle des athlètes professionnels. Pour faire une illustration pourquoi pas, ça peut être sympa mais je ne me vois pas de donner la leçon à des cadres.

Qui sont vos armuriers et crossiers ?
Franck Badiou : Pour l’équipe de France, c’est moi ! On a aussi des fournisseurs, on s’appuie sur l’armurerie Sanseigne à Pontarlier par exemple, puis après ce sont les fabricants allemands où l’on s’approvisionne. Ensuite tout va à Prémanon pour le côté investigation, l’optimisation comme on dit, bref  faire du tri sur les canons en y ajoutant des petites touches franco-françaises pour finaliser nos carabines comme on aime 🙂 .

 

Crédit photos avec l’aimable autorisation de Franck Badiou ©ski nordique.net

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