Interview biathlon Siegfried Mazet

Bonjour Siegfried Mazet, vous allez entamer votre troisième saison au sein de l’équipe Norvègienne hommes de biathlon. L’intégration est maintenant complète je suppose et votre défi (nb : de quitter la France pour partir entraîner en Norvège, dans un groupe inconnu) est donc en partie relevé ?
Siegfried Mazet : Oui le pari est bien relevé, après c’est un projet sur du long terme, quand on commence à travailler avec une équipe quelle qu’elle soit (Française, Norvégienne, Allemande ou autres), le temps que les gens se connaissent, s’apprivoisent, et que le fonctionnement se mette en place, il faut au minimum deux années. Deux années et rentrer à la maison n’aurait eu aucun sens pour moi, car cela se met en place sur du long terme, donc là le projet n’est pas entièrement réalisé mais il est sur de bons rails.

 

Est-ce que votre façon d’entraîner l’équipe de Norvège est similaire à ce que vous mettiez en place avec l’Équipe de France ou la gestion est différente ? Précisez-nous votre rôle, votre fonction au sein de cette Équipe de Norvège.
Les Norvégiens sont venus me chercher car ils avaient besoin de quelqu’un pour améliorer leur entraînement au tir. Ce qu’il faut savoir c’est que, historiquement, les Norvégiens ont toujours plus ou moins dominer le biathlon, notamment grâce à la partie ski de fond et non avec le tir. C’est seulement sur ces dix dernières années car le biathlon a évolué car de bons skieurs sont devenus de bons tireurs. Cependant, ils sont restés sur les mêmes schémas d’entraînement qu’en ski de fond, ils n’avaient pas de philosophie au tir. C’est pourquoi ils m’ont recruté mais qu’ils ont aussi recruté au printemps dernier un italien (Patrick Oberreger pour le tir féminin) pour les aider à compléter ce qu’ils leur manquent sur ces dernières années.

Ma façon d’entraîner est forcément un peu différente puisque la culture n’est pas la même, il y a pleins de petites choses différentes qui font que l’entraînement doit être adapté aux envies de la personne en face de soi, mais cela reste semblable même ailleurs. La façon dont je m’exprime est différente puisque la culture scandinave n’est pas comme la culture française, mais dans l’ensemble il n’y a pas de gros écarts en termes de gestion. Il reste qu’en tant qu’entraîneur en Norvège je ne suis pas le même que lorsque j’étais avec les Français.

 

 

Vous avez amenez Johannes Boe a obtenir sa première médaille olympique individuelle sur l’épreuve des 20km des JO de Pyeongchang. Quels points avez-vous particulièrement travaillé avec lui, qui nous le savons manque de régularité au tir ?
Alors justement la réponse est là [rire]. L’objectif était de construire avec Johannes quelque chose qui lui permettre d’être le plus régulier possible sur chaque course. Il fallait que chaque course soit une marche de plus, une marche plus haute que la précédente à franchir. En fait, Johannes a tendance à gravir 4 marches et à en redescendre ensuite de 3. C’est-à-dire qu’il arrive à rester sur un bon niveau, un niveau constant, juste parce qu’il fait un gros coup d’éclat avant de redescendre un peu plus bas dans le classement. C’est d’ailleurs la grande différence qu’il a aujourd’hui avec Martin Fourcade. Martin lui gravit chaque année, à chaque course, un petit pas de plus sans jamais redescendre. Donc le but pour Johannes est de faire des plus petits pas, mais pour ne pas avoir à les redescendre ensuite sur les autres courses.

 

En tant que rival proclamé de Martin Fourcade pour la course au globe , pensez-vous qu’il sera prêt cette année à batailler durant toute la saison malgré ses contretemps à l’entraînement  ? (nb : coupure d’un mois entier au mois de mai pour son voyage de noce, norovirus en septembre et blessure au dos fin octobre)
C’est vrai que vu comme ça, mis bout à bout, ça fait beaucoup. Mon collègue avec qui je travaille pense que ce sera assez difficile pour lui de retrouver son niveau, mais moi j’y crois, j’y croirai même si on a juste 10% de chance de l’atteindre, peu importe.
Je ne veux absolument pas rentrer dans une atmosphère négative autour de cela en se disant que ça ne peut pas être jouable. Ça va être jouable mais ce sera difficile certes. Mon rôle est de motiver les gens à aller chercher ce qu’ils ont à aller chercher, c’est-à-dire l’atteinte de leurs objectifs même si leur préparation a été tronqué. La deuxième chose, en considérant que ce qui a été fait en amont dans la préparation, et malgré ces quelques semaines d’entraînement manquées, on se dit qu’au final ce n’est pas grand chose. Il faut voir les choses différemment ; Johannes s’entraîne depuis 10-12 ans régulièrement. 
Donc oui, il risque d’avoir un démarrage poussif en début de saison mais il va certainement monter petit à petit en puissance au fur et à mesure des courses. Il reste cependant une part de mystère, on ne peut pas savoir et prédire comment le corps fonctionne et celui qui le sait est vraiment fort et malin. Et ça, Dieu seul le sait et il n’est pas bavard !

 

Pensez-vous qu’il pourra tenir un tel niveau de performance sur plusieurs années ?
Je pense que oui. On connaît le potentiel de Johannes depuis 2013, et à partir du moment où il a cette possibilité d’aller vite sur les skis comme il l’a montré plus d’une fois, et qu’on sait qu’il est capable de tirer plutôt bien, on se dit que tout est possible. Johannes est fort mentalement et physiquement , mais que fait-on, que travaille t-on une fois que l’on a cela ? Johannes a le potentiel mais est-ce qu’il va réussir à toujours le montrer ? C’est vraiment la question. Moi je n’ai aucun doute sur ce qu’il peut réussir à faire mais c’est à lui de savoir ce qu’il souhaite réellement, s’il a envie de s’impliquer à fond dans sa discipline, avec toutes les contraintes que cela exige. Je pense qu’il est en ce moment en train de voir plus loin, d’avoir cette maturité nécessaire pour organiser tout ce qu’il y a autour de l’entraînement pour aller justement vers cet objectif-là, être le meilleur. Je pense aujourd’hui qu’il a cette conviction, qu’il a ce but, mais il reste du chemin.

 

Que pouvez-vous nous dire sur le reste du groupe, sur l’ambiance, sur les potentiels nouveaux arrivants, après les retraites des aînés Ole Einar Bjørndalen et Emil Svendsen ?
C’est à chaque fois la grande question, on me l’a beaucoup posé en Norvège, en me disant qu’il va y avoir un creux, qu’il ne resterait plus que Johannes et Tarjei Boe. Au contraire, ces deux retraites font peut-être faire du bien au reste de l’équipe, dans le sens où cela va permettre à certains athlètes de se libérer, de se décomplexer. Ils vont prendre de l’autorité puisqu’ils ne seront plus dans l’ombre. Ils seront plus confiants,  émancipés et moins remis en question sur leur statut au sein du groupe  a toujours lutter pour les sélections et pour se qualifier pour la Coupe du Monde. On travaille mieux dans la sérénité qu’avec de l’anxiété. 

 

C’est le cas de Lars HelgeBirkeland n’est-ce pas ? (il a remporté un chrono test avec les allemands et les italiens lors de leur stage à Oberhof)
Oui c’est exactement ça, les gens ont besoin d’un peu de place. Gagner à été pour lui est un bon indicateur puisqu’il se confrontait aux allemands et aux italiens. Y a eu des bonnes choses, mais ça c’est juste la première phase. Les athlètes ont besoin de gagner en confiance en soi mais aussi celle des entraîneurs pour pouvoir ensuite être performant. Et quand tu luttes pour les sélections en permanence tu ne peux pas trouver cette confiance là. C’est le cas donc pour Birkeland mais aussi pour Henrik L’Abée-Lund et Vetle Sjastad Christiansen. Je pense qu’ils vont montrer de belles choses par la suite.

 

Les sélections norvégiennes vont avoir lieu dans quelques semaines à Sjusjøen , Qui sont des biathlètes protégés pour la première coupe du monde à Pokljuka en Slovénie et ceux qui doivent encore se battre pour obtenir leur ticket ? Pouvez-vous nous expliquer comment vont être attribués ces places ?
Alors non, ça je ne sais pas qui l’a dit mais il ne va pas y avoir de sélections Norvégiennes à Sjusjøen pour les coupes du monde. Il y a des sélections uniquement pour l’Ibu Cup (nb : le deuxième circuit de la Coupe du Monde). Donc ces courses ne vont pas compter pour la Coupe du Monde puisque notre groupe d’athlètes est déjà présélectionné (sauf évidemment maladies ou blessures). Il y a juste une petite chose qui a changé récemment, le vainqueur de l’Ibu Cup de la saison passée est d’office qualifier pour la première Coupe du Monde, c’est le cas de Vetle Sjastad Christiansen. Il s’entraîne donc déjà avec le groupe élite. Cela libère ainsi une place pour un septième athlète, qui lui sera sélectionné sur le chrono de Sjusjøen et sur l’Ibu Cup (nb : Ibu Cup à Idre, en Suède)

Y-a-t-il une différence notoire sur les moyens (financiers, humains, matériels) entre les fédérations françaises et norvégiennes ?
Ah oui je l’attendais cette question, il va falloir la mettre en gros dans votre interview :-), Je vais faire une réponse assez longue pour que les gens l’entendent bien car, c’est important 🙂 !
En fait on compare trop souvent un pays de 5 millions d’habitants avec un pays de 66 millions. Donc est-ce réellement comparable déjà compte tenu de cet aspect-là ? On compare un pays [la Norvège] où le ski de fond est le sport numéro 1, que ce soit en pratique loisir ou en mode compétition, alors qu’en France ce n’est pas du tout le cas. Donc forcément qu’il y a déjà davantage de moyens en Norvège, qui plus est sont pour beaucoup apportés par des sponsors privées, et c’est là toute la différence entre les deux fédérations de ces deux pays.
La Fédération Française de Ski (FFS) possède une convention avec le Ministère Français, celui-ci lui reversant une somme d’argent, environ, environ 500 000 euros chaque année pour le biathlon en plus des CTS (conseillers techniques sportifs) et des cadres mis à disposition, non compté dans le budget de la FFS. Il me semble que pour toute la FFS, c’est 4 millions d’euros et 80 cadres qui lui sont alloués par le Ministère, sans oublier non plus les primes versées par l’État pour les athlètes français, alors que ce n’est pas le cas en Norvège !
En Norvège, l’État n’intervient pas dans la Fédération, donc voilà pourquoi il est difficile de faire un ratio ou de comparer ces deux systèmes, car ils fonctionnement différemment. Et ça c’est important car beaucoup de monde ont des fantasmes sur la Norvège. C’est difficile d’évaluer le montant que verse le Ministère des Sports à la FFS, mais je pense qu’en France il n’y a tout de même pas de quoi se plaindre. Les athlètes véhiculent beaucoup d’images, d’informations sur les réseaux sociaux, et en ayant été moi-même leur entraîneur j’ai constaté qu’ils ne se rendent parfois pas compte de leur chance ! Ils ont leurs sponsors, qu’ils mettent bien en avant, mais ils oublient toujours le plus important : le Ministère des Sports. En effet, c’est le plus gros de leur sponsor et ils devraient le mettre en avant sur chacune de leur publication.

Outre l’aspect financier, globalement c’est la vision de ces deux Fédérations qui n’est pas la même non plus, avec des choix qui sont donc aussi forcément différents comme par exemple embaucher des entraîneurs étrangers pour leur équipe, le payant un peu plus. La Norvège sait que cela représente un investissement.

 

Allez-vous être présent derrière la jumelle (de tir) sur toutes les étapes de la Coupe du Monde ? Comment va se construire votre saison hivernale ?
Oui, je serai présent sur toutes les étapes de la Coupe du Monde comme je l’ai toujours été, mis à part peut-être pour une impasse en cours de saison. Ça ne fait pas sens pour moi de rater une coupe du monde, surtout en tant qu’entraîneur de tir car il y a beaucoup de choses à travailler, c’est un travail de longue haleine, il faut être présent constamment. Je me dois d’accompagner au plus prés mes athlètes.

 

Si vous deviez donner trois mots pour définir votre métier d’entraîneur de tir et même le tir en général, quels seraient t-ils et pourquoi ?
Trois mots ? C’est pas beaucoup trois mots [rire] ! C’est ce genre de questions que je n’aime pas trop car je vais avoir des idées et dans 5 minutes d’autres mots me viendront à l’esprit. Alors, allons-y pour trois mots… :

« Confiance » : Évidemment il faut suffisamment de confiance en soi pour être capable de reproduire ce que l’on fait à l’entraînement, le jour de la compétition

« Maîtrise » : J’entends par là la maîtrise sur les éléments extérieurs (même si on ne les maîtrise jamais vraiment à vrai dire), le fait qu’il faut savoir s’adapter sans cesse. Bien sûr on ne peut pas tout maîtriser, mais le but est de réussir à maîtriser de la meilleure manière possible ce que l’on peut et pense pouvoir maîtriser, qui à priori n’est en soi justement pas maîtrisable. C’est par exemple savoir s’adapter aux conditions climatiques, au vent, aux concurrents etc.

« Playful » : Être joueur. Avant tout cela reste un jeu au fond des choses. Et si on le prend trop au sérieux, alors on risque de tomber de trop haut. Il faut garder le tir comme un bon jeu et trouver ainsi de l’inspiration dans la façon de jouer.


Enfin, une dernière petite question puisqu’il faut bien l’avouer, nous sommes un peu chauvin, n’êtes-vous pas un peu nostalgique de la vie en France ?
Non, non, vous savez en étant chauvin justement j’apprécie d’autant mieux les choses de mon pays (la France), car je les vois d’une autre façon, sous un autre angle. On a tellement de choses devant notre nez qu’à force on ne les voit plus, des choses dont ne faisait plus attention on les voit avec une autre perspective, depuis autre point de vue, ça les remet en avant.

Je n’ai pas de regret dans mon choix, et je suis même très heureux de l’avoir fait, et d’avoir pris ces risques. Car quand je reviens en France, même si j’adore la Norvège, j’aime vraiment beaucoup mon pays et quand je revois mon pays sous cet autre point de vue alors je l’apprécie davantage et c’est encore plus agréable.

Merci pour votre disponibilité et belle saison à vous !

Interview réalisée grâce aux questions des supporters de biathlon, issues des réseaux sociaux. Propos recueillis par Marianne Crouvezier

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